Le juste milieu à la française depuis 1789
Selon Aristote, le juste milieu est « la vertu de médité entre deux contraires », d’après Montesquieu, « le juste milieu est une méthode d’administration, de gouvernement, qui consiste à maintenir par la modération et les lois entre les prétentions des partis[i]». Mais le juste milieu en France revêt trois formes depuis 1789.
Le juste milieu du Bonapartisme est la première forme. Il s’agit d’un chef d’État fort et neutre qui dirige le gouvernement composé des différents courants politiques plus faibles que lui-même. Il détient le pouvoir décisif et c’est lui seul qui peut unir la nation. Comme Napoléon I en tant que Premier Consul, il est roi de la Révolution française parce que ses compatriotes ont besoin d’« une monarchie sous le nom d’une République [ii]». Il choisit deux collègues : Cambacérès, homme de la Révolution, et Lebrun, serviteur de l’Ancien Régime pour équilibrer les courants politiques et pour réconcilier la France[iii]. Si Napoléon I réussit son juste milieu à l’aide de ses victoires militaires, Napoléon III le fait grâce au suffrage universel. Le Général de Gaulle suit aussi cette stratégie mais il profite beaucoup de la crise en 1958. L’existence du juste milieu ne résout pas au fond les conflits politiques, mais il permet à l’homme providentiel de les étouffer. Donc, dès que l’homme providentiel quitte le pouvoir, la nation retombe dans les embarras des conflits du droit-gauche.
Le juste milieu de l’Orléanisme est la deuxième forme, même si l’on le considère souvent comme le seul juste milieu. La Monarchie de Juillet ne repose pas sur un pouvoir central fort et dominant, parce que les conflits politiques sont forts entre les libéraux et les autres partis. Ni le Roi, ni le gouvernement ne détiennent un pouvoir autoritaire, il leur faut prendre une position pour stabiliser la situation[iv]. Ce juste milieu est un choix passif et faible, en particulier avec un chef du gouvernement comme Guizot alors qui n’est pas déterminé, et qui donc ne peut pas franchir une grande crise comme la révolution de 1848.
Le juste milieu des Quarante-huitards est la troisième forme. Ils sont probablement les républicains du lendemain dont Victor Hugo est un exemple typique[v]. Leurs position politique se place entre la révolution et la République, entre la tradition et la liberté. Ils maintiennent à la fois les réformes sociales et l’insurrection[vi]. Ce genre du juste milieu n’est pas comme les deux précédents qui sont le juste milieu du souverain ; il représente une position centriste. L’humanisme est la règle suprême de la politique comme Constant et Victor Hugo[vii], ainsi que Valéry Giscard d’Estaing[viii]. Ce genre du juste milieu est le centrisme authentique pour la liberté, mais il est souvent faible à cause de la double attaque droite-gauche en France.
[i] Gwenael La Marque, La Monarchie de Juillet : une monarchie du centre ? Le « juste milieu » : évolutions et contradictions de la culture orléaniste juillet 1830-février 1848, Sylvie Guillaume (dir.), Le centrisme en France aux XIXe et XXe siècles: un échec ?, MSHA, Pessac, 2005, p.24
[ii] François Furet, la Révolution française : la Révolution, de Turgot à Jules Ferry, 1770-1880, Gallimard, 2007, p.450
[iii] Ibid., 452
[iv] Jean-Pierre Rioux, Les centristes de Mirabeau à Bayrou, Fayard, 2011, p.50
[v] Maurice Agulhon, Les Quarante-huitards, Gallimard/Julliard, 1975,1992, p.238
[vi] Eric Anceau, L’échec des bleus du National et de projet de « république du centre » (1848-1849), Sylvie Guillaume (dir.), Le centrisme en France aux XIXe et XXe siècles: un échec ?, MSHA, Pessac, 2005, p.37
[vii] Jean-Pierre Rioux, Les centristes de Mirabeau à Bayrou, Fayard, 2011, p.48
[viii] «Une nation moderne est une communauté humaine, faite verticalement de son histoire et de ses traditions et horizontalement des différents groupes humains qui la composent.», Valéry Giscard d’Estaing, « Démocratie française», Fayard, 1978, p.32